L’École nationale supérieure de la photographie
Le Centre de recherche art et image (CRAI)
& le Laboratoire Fig. présentent le colloque
Conditions de l’image
L’image comme conscience de l’état restant du monde
conçu par Fabien Vallos & les étudiants chercheurs du Laboratoire FIG.
26 MARS 2021
avec
Emmanuel Alloa, Nicolas Giraud, Alexis Nuselovici, Aurélie Pétrel, Camille Richert, Fanny Terno & Thomas Vauthier, & Fabien Vallos
& les étudiantes et les étudiants du séminaire :
Grégoire d’Ablon, Charlotte Arthaud, Manon Audiffren, Floriane Barreau, Julie Bouchardon, Francesco Canova, Elena Corradi, Audrey Deygout Gestraud, Juliette Fréchuret, Juliette George, Constance Heilmann, Maeghan Leith-Mourier, Raphaël Lods, Théo Malirat, Faustine Marseille, Guillaume Maty & Loïc Soula.
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Dans le cadre des activités du Centre de recherche art et image (CRAI), du Laboratoire Fig., l’École nationale supérieure de la photographie propose un quatrième colloque qui a lieu le 26 mars 2021.
Après trois premiers colloques dans le cadre des activités de recherche du Laboratoire Fig., nous aimerions proposer une recherche sur ce que nous nommons les « conditions de l’image ». Si le premier colloque (2018) portait sur les relations entre images et langages, si le deuxième (2019) portait sur les relations entre l’image et l’acte performatif et si le troisième (2020) portait sur les questions d’images et de données, le quatrième colloque (2021) voudrait s’intéresser aux relations entre les images et la prise ou la capture du monde pour réaliser cette image.
Or il semble qu’il faille penser et analyser les conditions particulières de cette prise, de ce prélèvement pour pouvoir penser l’image. Toute image – tout prélèvement – laisse derrière elle une autre image, celle du monde laissé après le prélèvement. Cette image nous la nommons image synéidètique, c’est-à-dire une image avec la conscience des conditions de saisie de sorte que l’image puisse être faite. Il semble donc important de réclamer une économie synéidètique des images, supposant que nous sommes dans un espace qui peut être pensé comme asynéidètique, c’est-à-dire sans cette conscience des conditions de ce qui est laissé derrière soi, après s’être saisi d’un fragment du monde (à savoir un fragment du réel ou de la réalité).
Ce colloque est conçu et organisé par le Laboratoire Fig. dirigé par Fabien Vallos, avec le soutien de Aurélie Pétrel et avec les étudiants impliqués dans cette recherche. Il est réalisé par l’École nationale supérieure de la photographie à Arles.
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Vendredi 26 mars
1. Fabien Vallos Introduction
Le présent colloque, à partir des recherches ménées en 2020-2021 dans le cadre du séminaire du Laboratoire Fig., a pour point de départ un travail d’analyse du concept de synéidèsis (première épître aux Corinthiens de Paul, 10.25). Elle signifie en langue grecque, une sorte de conscience de l’état du monde à partir d’une image (eidos) de ce qui reste après avoir prélevé ou réalisé quelque chose.
Nous avons supposé l’existence d’une image synéidètique, qui contiendrait en elle l’indice de l’image de l’état restant du monde. La synéidèsis est l’image de ce qui reste après toute prise, de celle de l’image à celle de tout prélèvement. Le monde signifie la relation plus ou moins dialectique entre le réel et la réalité. Or l’état du réel autant que celui de la réalité est modifié, troué, perturbé, par ce que nous produisons et par la puissance de la relation de l’un vers l’autre.
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2. Emmanuel Alloa, Echapper à la capture
Si condition de l’image il y a, c’est d’abord un devenir-image à notre insu : les systèmes de vidéosurveillance, de traçage numérique et de reconnaissance faciale dressent de nos vies des portrait-robots d’une inquiétante précision. La communication portera sur les stratégies visuelles déployées par certains artistes contemporains pour échapper à cette capture : Zach Blas, Gregory Chatonsky, Hito Steyerl, Shu Lea Cheang/Paul Preciado. Par la data-désobéissance et le cypherpunk, les objectifs sont d’échapper à la reconnaissance et à l’identification automatisées. En faisant une petite archéologie du camouflage et de ses origines biotechniques et militaires, on s’interrogera sur la place croissante de cette esthétique de l’opacité dans la production contemporaine.
Emmanuel Alloa est professeur d’esthétique et philosophie de l’art à l’Université de Fribourg. Il a travaillé comme chercheur au Pôle national suisse de Critique de l’image (Eikones) et a enseigné l’esthétique au département d’Arts plastiques de Paris 8. Lauréat du prix Latsis 2016 et du Prix Scientifique Aby Warburg 2019, il a été commissaire adjoint de l’exposition Le Supermarché des images (Jeu de Paume, 2020). Dernier ouvrage paru : Partages de la perspective, Fayard, 2020.
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3. Alexis Nuselovici (Nouss), Pour une poétique de l’exil
Hegel : le langage efface le réel pour le désigner. Il faut s’y habituer. Le faut-il ? Lorsque l’effacement du réel cache un effacement (du sujet) dans le réel, une disparition, la littérature vient témoigner pour dire qu’il manque désormais quelque chose dans le réel. On peut appeler ce manque prélèvement ou saisie. Ou exil.
Alexis Nuselovici (Nouss) est professeur de littérature générale et comparée à Aix-Marseille Université et titulaire de la chaire « Exil et migrations » au Collège d’études mondiales (FMSH, Paris). Dernier ouvrage paru : Droit d’exil. Pour une politisation de la question migratoire, éd. Mix., 2021.
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4. Nicolas Giraud, Lanscape as real estate
Le regard porté sur l’extérieur est un symptôme de son état. Les formes produites par les artistes, films ou photographies, constatent en même temps qu’elles réorganisent, une teneur du vivant qui échappe à l’œil nu. La figure du gratte-ciel et sa présence dans le film d’Andy Warhol EMPIRE, nous serviront de point de départ pour envisager l’involution et la commodification du paysage. Avec les travaux de Lynne Cohen, Lewis Baltz ou Michael Heizer, on tentera d’envisager la part prise par les artistes dans un devenir immobilier du monde, au sein de ce que Marvin Heifermann désigne comme « Landscape as real-estate » (le paysage comme bien immobilier).
Nicolas Giraud est artiste et professeur à l’École nationale supérieure de la photographie où il dirige également la revue Inframince. Son travail est représenté par la galerie mfc michèle didier à Paris et la galerie Frank Dumont à Los Angeles. Il développe actuellement le projet esthétique des données avec le soutien du Centre Nationale des Arts Plastiques.
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5.-9. Les étudiants & étudiantes du Laboratoire Fig. :
Francesco Canova, Giuseppe Ungaretti et la poésie comme secret inépuisable
À travers une analyse de la poésie Il porto sepolto di Giuseppe Ungaretti, poète italien du XX° siècle, je voudrais m’interroger sur le rapport entre le fond inépuisable de l’image synéidètique et la tâche du poète : celle de dévoiler une partie de ce qui doit rester caché.
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Juliette George
L’œuvre de l’artiste italien Cesare Pietroiusti (né en 1955) peut se lire comme « un tentativo di fare attenzione a ciò che viene rimosso ». Ce quelque chose qui nous aurait été retiré par Dieu – ou par le profit – et qu’il s’agit donc de récupérer au risque qu’il nous manque, c’est la responsabilité du vivant. Nous verrons comment cette attention, voire cette réparation s’opère dans son travail à travers une éthique de la consommation (artistique et alimentaire).
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Constance Heilmann
Observer et capter l’image synéidètique nécessite d’être en mesure de le faire et pour cela d’être dans un espace qui lui permettra d’émerger, l’« aître ». Nous tenterons d’opérer un croisement entre les théories du Dasein et d’être-au-monde chez Heidegger, du sentir pour s’insérer dans le réel chez Merleau-Ponty, de l’expérience esthétique fondée dans l’interaction chez Dewey et du processus d’individuation chez Simondon, pour déterminer les conditions favorables à l’observation de cette image synéidètique.
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Théo Malirat
Le concept de synéidèsis définit un lieu interstitiel décisif pour entendre l’acte de création : sen quoi l’art de manière générale est un questionnement constant de la disponibilité ou de l’indisponibilité du prélèvement ?
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10. Fanny Terno & Thomas Vauthier, Dé-prises de vues
S’il est question d’image synéidètique en tant que conscience des conditions de saisie des images et du monde résultant de cet acte, il nous intéresse d’interroger l’agir synéidètique et les diverses modalités de son influence sur la pratique artistique contemporaine à travers une proposition de recherche-création. Il s’agira dans un premier temps de s’interroger sur la dialectique entre considération et production d’image, pour ensuite explorer les limites de l’opérativité même de l’homme en mobilisant la notion de dépense, menant vers une acédie que l’on nommera mé-prise. On explorera ensuite diverses modalités de production d’image prenant en compte des potentialités attentionnelles exprimant un care, en tant que souci du monde dans lequel le prélèvement et l’acte d’image semblent problématiques, et ce, jusqu’à la possibilité d’une dé-prise, dont les logiques organiques à l’œuvre sont de l’ordre d’un processus vivant entropique. Cela nous permettra de déployer un répertoire d’actes d’images spécifiques : agirs minimalistes dans la dépense, ou bien assumant celle-ci comme moyen et condition vers une modulation espérée des affects. Cette intervention s’attachera ainsi à exprimer le passage d’une prise de vue à une dé-prise de vue.
Fanny Terno est artiste-chercheure en doctorat de recherche-création à Aix-Marseille Université, l’ENSP d’Arles et Kyoto City University of Arts.
Thomas Vauthier est artiste-chercheur en doctorat de recherche-création à Aix-Marseille Université et Kyoto University of the Arts.
Fanny et Thomas travaillent ensemble depuis 2016 et ont formé la structure collaborative Engawa en 2019.
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11. Camille Richert, D’une époque épique à une époque opaque : les esthétiques du travail dans l’art contemporain, ou la différence d’un degré
Au tournant des années 1890 (avant-gardes modernistes), puis à celui des années 1960 (modernisme tardif), se produisent dans les représentations artistiques du travail deux à-coups, qu’on peut qualifier de démystifications. Plus précisément, ce ne sont pas un, mais deux mythes qui tombent dans une même chute : les mythologies du travail, et le mythe de ce mythe, qui consisterait en l’idée que la nature est maîtrisable, et que ceci est souhaitable dans la mesure où la nature fournirait l’énergie nécessaire aux rêves et ambitions de progrès social des xixe et xxe siècles. Le travail en fut le moyen. En faisant cas de cette thématique, les représentations contemporaines y portent une estocade.
Considérant que l’art contemporain (entendu comme l’ensemble des productions artistiques advenues à partir de la fin des années 1960 en Occident) est un ensemble hétérogène de réalités spéculatives, ses thématiques tel le travail sont dotées d’un certain réalisme décalé d’un degré. À travers différentes esthétiques basées sur le prosaïsme – celle du silence (Susan Sontag), celle de la bureaucratie (Benjamin Buchloh), ou bien encore celle de l’ennui (Tom McDonough) –, les œuvres contemporaines ayant pour thème le travail prélèvent des situations réelles, antérieures ou actuelles, pour les prolonger, les accentuer, les détourner et les confiner au paroxysme de l’absurde ou de l’expérience parallèle.
Au contraire de la fonction politique des œuvres d’art du deuxième xixe siècle et du premier xxe siècle (pour emprunter la catégorie de Walter Benjamin), ces œuvres contemporaines sur le travail ne servent plus une idéologie à fins de politisation par l’image : elles formalisent sans plus aucun récit unifiant la vie intangible mais non moins éprouvée par les employées et employés des mondes du travail. Depuis les secteurs d’activités industriels jusqu’aux métiers du quaternaire, nous proposons de regarder les esthétiques qui ont présidé à ces excavations visuelles pour donner lieu à des réalités augmentées et dépolitisées des mondes du travail.
Camille Richert est historienne de l’art. Elle est diplômée de l’École normale supérieure de Lyon en histoire contemporaine. Après un passage à l’École du Louvre en ethnologie européenne, elle a travaillé comme responsable des publications à Lafayette Anticipations. En charge du Prix Sciences Po pour l’art contemporain depuis 2017, elle enseigne l’histoire contemporaine à l’Institut d’Études Politiques de Paris, où elle vient de terminer sa thèse de doctorat en histoire de l’art contemporain, sous la direction de Laurence Bertrand Dorléac.
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12. Aurélie Pétrel & Fabien Vallos
Dans le cadre d’un projet de recherche (Hes-so et Head Genève[IRAD]) nous avons tenté d’interpréter les problématiques liées à la prise (de l’image) et au prélèvement. Après avoir mener une série d’entretiens auprès d’une centaines de personnes nous discuterons, dans une entretien, des points suivants :
1. en quoi la donnée peut-elle être pensée depuis les questions de la sélection de l’information, des modes, du calcul, du langage, du code, de la technique et de la donation ?
2. en quoi la donnée (et donc les conditions de l’image) est à la fois polluante, mutique, désincarnée, scandaleuse, acosmique et critique ?
3. en quoi la prise est à la fois prélèvement, piège, capture, manipulation, appropriation, prédation, collecte ?
4. en quoi sommes-nous en mesure de proposer une théorie générale de l’économie des prélèvements et de leurs représentations et donc d’une « condition de l’image » ?
Aurélie Pétrel est artiste, ainsi qu’enseignante et responsable du Pool Photographie à la HEAD-Genève depuis 2012.
Fabien Vallos est docteur en philosophie du langage de l’Université Paris-Sorbonne. Professeur à l’École nationale supérieure de la photographie à Arles et directeur du Laboratoire Fig. Dernier ouvrage paru : Chrématistique & poièsis, éd. Mix., 2016
Aurélie & Fabien sont chercheurs associés, projet de recherche Hes-so, Suisse.
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Fin du colloque.